Monsieur Chardin, comment avez-vous été inspiré pour fonder Parlons RH, et quels ont été les défis majeurs rencontrés lors de sa création ?
J'ai créé Parlons RH en 2012 pour 4 raisons principales :
- Un besoin de sens et d’utilité avec une mission qui nous dépasse individuellement.
- Un besoin de bon sens avec une recherche de simplicité dans le mode de fonctionnement et le management par exemple en évitant le plus possible les injonctions paradoxales
- Un besoin de bienveillance et de reconnaissance. Les salariés ne sont pas des matricules interchangeables. J'avais envie de considérer chaque personne dans sa singularité.
- Un besoin d’entreprendre, d’innover sans être dans la disruption.
« Entreprendre » : c’est un joli mot, pour moi entreprendre c’est donner, Donner au marché ce qu’il attend. Entreprendre, c’est faire de la chance une compétence.
Mais le préfixe est très important : « entre ». Entreprendre reste une démarche collective.
13 ans après la création de Parlons RH, ces défis sont toujours présents.
Jour après jour, nous essayons de faire vivre ces grands principes, en interne comme sur notre média (https://www.parlonsrh.com/media/ ).
Avec votre expérience en marketing éditorial et social media dans le domaine des Ressources Humaines, quels changements notables avez-vous observés ces dernières années en termes de communication des RH ?
Le temporalité du marketing n'est pas toujours celui de la fonction RH.
Le marketing surfe parfois sur des concepts à la mode mais qui font long feu.
La DRH fait preuve de tempérance et mais aussi d'une certaine inertie.
Je note que les concepts sont donc parfois très long à se déployer opérationnellement.
Pour ne prendre que trois exemples :
- Le concept de marque employeur a été déposée en 1998 par Didier Pitelet. Elle reste balbutiante dans nos organisation et limitée à de la communication-séduction de recrutement. Il lui manque un contenu RH plus solide, plus profond.
- La QVCT bénéfice de moyen dérisoire alors que l'absentéisme a cru de 75% en 10 ans en France (cf. baromètre de l'absentéisme de Ayming).
- Les processus de base de la fonction RH ne sont pas digitalisés alors que la technologie irrigue tous les secteurs de l'économie. A trop ne pas vouloir s'en servir, on finit par être asservi au digital.
La communication RH progresse malgré tout mais par petites touches : le recrutement d'un côté, la formation de l'autre, la rémunération globale, etc.
Il conviendrait d'avoir une vision plus systèmique de la communication RH en y intégrant évidemment la communication de la fonction RH elle-même (sa vision, sa mission, sa feuille de route, ses moyens, ses contraintes, etc.).
Vous êtes co-organisateur de HR Technologies France. Comment percevez-vous l'impact des innovations technologiques sur la transformation des fonctions RH ?
D'abord rappelons que la technologie RH n'est pas une finalité mais un moyen.
Et c'est un moyen qui se développe très fortement : pour la 3ème édition de HR Technologies France, nous avions plus de 150 exposants. Nous pensons doubler en deux ans.
Pourquoi ?
Car dans le domaine de technologie au sens large appliquée aux ressources humaines, deux grandes tendances complémentaires se dégagent. La première est l’incroyable élargissement du périmètre fonctionnel couvert par les solutions RH, rendu possible par des avancées récentes en termes de capacité technologies. Aujourd’hui, les outils s’étendent à des domaines RH variés comme les acomptes sur salaires, le workforce planning, l’onboarding, le recrutement, les compétences, les relations sociales ou encore la gestion des départs. Avec plus de 350 startups actives au sein du Lab RH, le champ des solutions disponibles est désormais extrêmement vaste, répondant à des besoins toujours plus diversifiés.
La seconde tendance majeure me semble concerner la fameuse individualisation de la gestion RH. Longtemps évoquée sans véritable concrétisation, cette personnalisation est désormais rendue possible justement par la technologie. Qu’il s’agisse de la gestion de parcours, de formations adaptées, de plannings de travail personnalisés ou d’avantages salariés modulables, les outils actuels permettent d’offrir une expérience collaborateur sur mesure, alignée avec les attentes individuelles et les contraintes de l’entreprise. C’est une avancée considérable.
Enfin, même si je ne l’évoque pas dans les deux tendances majeures précédentes, il est impossible d’ignorer l’essor de l’intelligence artificielle. Si l’IA générative domine encore le marché, on voit émerger des approches plus agentiques, où l’IA accompagne activement les gestionnaires RH dans leurs missions, transformant la fonction en profondeur et ouvrant de nouvelles perspectives. Ce ne doit pas constituer une menace pour la fonction mais une opportunité. C'est ce que nous essayons d'apporter avec HR Technologies France.
En tant que vice-président du Lab RH, quel rôle voyez-vous pour les start-ups dans l'évolution des pratiques en Ressources Humaines ? Pensez-vous qu'elles répondent à des besoins spécifiques des DRH ?
Oui, je l'évoquais dans ma réponse précédente.
En plus d'un périmètre fonctionnel nouveau et particulièrement étendu, les start-ups insufflent une énergie nouvelle au sein de la fonction RH.
Elles incitent les professionnels RH à l'audace, à s'acculturer aux logiques d'entrepreneuriat.
La fonction RH se doit d'innover pour répondre aux défis du XXIème siècle et les start-ups du Lab RH peuvent grandement l'y aider.
Votre ouvrage sur les enjeux des DRH évoque probablement des défis contemporains. Quel est, selon vous, le plus grand défi auquel les DRH sont confrontés aujourd'hui et comment peuvent-ils s'y préparer ?
Dans mon ouvrage je décris les deux grands enjeux de la fonction :
- la guerre des talents constituée de trois batailles : l'attractivité, la fidélisation et l'engagement
- la guerre de l'attention
La maitrise de ces enjeux se situe dans un contexte national et international, économique, environnemental et social, sans précédent.
Aussi, il me semble que le principal enjeu des DRH aujourd’hui, qu’ils partagent tous, est de naviguer dans un contexte majeur d’imprévisibilité et d’incertitude croissante. Nous vivons dans un monde où l’horizon d’avenir se réduit de plus en plus. Les business plans à cinq ans sont devenus des plans à un ou deux ans, maximum, souvent basés sur des hypothèses multiples et des scénarios complexes. Cette imprévisibilité est devenue la norme. La première mission des DRH est donc d’appréhender cet inattendu, non comme un risque, mais comme une opportunité.
L'imprévisibilité doit être appréhendée, maîtrisée, presque apprivoisée. Et cela nécessite de passer à l’action, non pas de façon radicale ou disruptive, mais de manière réfléchie, incrémentale et progressive, dès aujourd’hui.
Comment voyez-vous l'avenir des Ressources Humaines en termes de transformation digitale et quels conseils donneriez-vous aux professionnels RH pour s'adapter à ces changements ?
Le taux d'équipement digital et le degré de maturité digitale de la fonction RH restent très faibles. Elle a souvent été la dernière roue du carrosse en matière numérique.
Une question se pose avec l'IA : sa mise en oeuvre va-t-elle permettre de rattraper son retard ou au contraire l'éloigner des standards attendus par les managers, les salariés ?
Je me garderai bien de tout conseil car je sais la tâche des DRH particulièrement complexe. Je ne voudrais pas ajouter une injonction supplémentaire dans une hôte d'obligations déjà bien remplie.
Je pense qu'un des chemins à emprunter est celui de l'audace.
Les professionnels RH doivent avoir l'audace d'affirmer leur mission. Pas uniquement de la défendre mais de la promouvoir.
Être audacieux, ce n’est pas simple. J’en conviens très bien.
C’est même risqué. Le risque est le propre de l’audace.
Elle éprouve la nature de votre volonté.
Veut-on vraiment changer ?
Sur la transformation digitale à proprement parler, je ne peux qu'inviter les professionnels RH à consulter l'ensemble des contenus que nous proposons sur le sujet, ici : https://www.parlonsrh.com/media/tag/sirh/
Étant donné votre passion pour l'innovation et le dialogue, comment promouvez-vous une culture d'inclusion et de collaboration dans votre propre organisation et quels en sont les bénéfices ?
Chez Parlons RH, nous ne faisons pas que promouvoir la diversité et l'inclusion sur notre média ou sur nos événements, nous la faisons vivre en interne, pour nous-même.
Nous préférons d'ailleurs parler de diversités, avec un S :
- Diversité des expériences et des expertises
- Diversité des parcours professionnels et personnels
- Diversité des regards, des avis et des approches
Tout simplement diversité des personnes.
Pour faire vivre cela, on cultive plutôt l'altérité.
L’altérité demande de remplacer la peur instinctive de l’autre par une forme de curiosité, une attention, une écoute, ou plus simplement, par le simple fait de donner une place à l’autre, tout en sachant rester à la sienne.
L’altérité, c’est la reconnaissance de l’autre dans ce qui nous distingue et dans ce qui nous rassemble.
Le développement de l’altérité doit être LA mission du DRH. Celle de constituer une diversité de talents, riche de leur pluralité de points de vues, d’expertises, de potentiels, et en même temps de les fédérer autour d’une vision collective partagée, d’un projet commun, d’un destin poursuivi ensemble, qui nous rassemble, qui nous ressemble, qui nous unit.
En 2025, nous devrions faire nôtre ce mantra : « des différences naît la richesse et des ressemblances naît le projet ». Et je crois, comme Albert Jacquard, que « le monde où l’on se reproduit est un monde où l’on s’ennuie. »
Les différences et les ressemblances sont les deux faces d’une même pièce : l’efficience. À condition de les jouer de concert.
Aussi, chez Parlons RH, nous ne communiquons que très peu sur nos diversités visibles ou estampillées comme telles. Par exemple, 25% des salariés de Parlons RH sont en situation de handicap, et alors ? Je ne les ai pas embauchés pour cela mais pour leur expertise et leur contribution potentielle à notre projet d'entreprise.
Je ne cherche pas à en tirer un bénéfice. C'est constitutif de Parlons RH. Nous sommes comme cela. Je ne sais pas si c'est bien ou pas. C'est notre différence RH.